Dégâts de gibiers : « Nous avons encore la possibilité de payer, mais demain il sera trop tard »
Willy Schraen, président de la Fédération nationale des chasseurs, appelle à la réforme du système d’indemnisation des dégâts de gibier. S’il ne demande pas aux agriculteurs de payer, il alerte sur le coût trop élevé pour les chasseurs dont les effectifs diminuent.
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C’est très facile à comprendre : ça coûte beaucoup d’argent pour les chasseurs. Nous sommes dans une période économiquement et socialement très difficile. L’objectif des réformes que nous avions menées était de baisser le coût du permis de chasser au niveau national pour la régulation du grand gibier. Ce sont les fédérations qui « lèvent l’impôt » chez les chasseurs et les territoires de chasse. Vous avez aujourd’hui des chasseurs qui ont une surcharge financière à payer qui peut aller d’une à vingt fois le prix de leur permis de chasser, et ça devient un vrai problème économique pour eux. Et plus nous allons « faire les poches » des chasseurs, plus ils sont nombreux à arrêter.
Cette année encore, nous allons perdre probablement une vingtaine de milliers de chasseurs. Nous sommes en train de les interroger et pour l’écrasante majorité, la raison est juste financière. Je tire la sonnette d’alarme. Si nous comptons 20 000 chasseurs en moins tous les ans parce qu’économiquement c’est trop lourd, cela devient logiquement de plus en plus cher pour ceux qui restent.
Si rien ne change dans le financement des dégâts agricoles par les chasseurs et si demain, il devait y avoir une forte hausse des cours des céréales par exemple, il n’y a pas 20 % des fédérations qui résisteront. Pour les autres, ce sera le dépôt de bilan. Cela pourra faire plaisir à certains mais je ne pense pas que cela fera plaisir au monde agricole. Nous avons encore la possibilité de payer les dégâts aujourd’hui mais demain il sera trop tard.
Oui. Nous chassons sur les deux tiers du territoire, mais il y a un tiers que nous ne maîtrisons déjà totalement plus car nous ne pouvons plus y aller, comme dans les territoires où la ville s’est étendue sur la campagne. Cela limite les possibilités de chasse, ou alors ça nous est interdit.
À partir du moment où l’action de chasse sert à l’alimentation en préservant la production agricole et évite les accidents de la route par collision avec du grand gibier, nous rendons un service public. Si les chasseurs arrêtent de chasser, cela deviendra très compliqué. Je demande juste qu’en plus d’accomplir ces actions par passion et de gérer ces populations qui causent des dégâts, nous ne soyons pas ceux qui payent. J’appelle à la réforme. Si vous voulez des chasseurs demain, il va falloir leur donner de l’oxygène. Je ne demande pas que nous soyons payés ou défiscalisés, mais que nous ne soyons pas ceux qui doivent tout payer pour réaliser une mission d’intérêt public.
C’est une grande question à poser à l’État. Comme tout le monde, j’ai plein d’idées. Doit-on aller vers une forme assurantielle ? Est-ce qu’il faut associer d’autres partenaires au financement : les collectivités territoriales, l’Union européenne ? Est-ce qu’il faut associer directement l’État au paiement des dégâts ? Parce que dès que l’État prend une décision restrictive dans la pratique de la chasse, il a une responsabilité politique sur ce qui se passe. Est-ce qu’il faut en donner moins à la transition écologique et plus aux agriculteurs ? C’est à l’État de décider, c’est lui qui va légiférer.
Parmi ce qui a été déposé, il y a des choses sympathiques et il y en a certaines que je ne voudrais pas dans la loi. La seule vraie bonne solution, c’est nous qui allons la donner. Je ne veux pas, dans cette situation qui se crispe, que la chasse française soit utilisée à des fins politiques. Ceux qui doivent écrire cette loi demain, sous l’égide de l’État, ce sont les chasseurs et les agriculteurs.
Je ne lui demande pas de payer quelque chose. Je lui demande d’être en accord avec nous pour nous aider à convaincre l’État qu’il faut une réforme de cette loi d’indemnisation dans les plus brefs délais avant qu’il ne soit trop tard.
Nous avons décidé de ne plus payer les petits dossiers selon la nouvelle méthode mise en place au moment où l’État nous accompagnait avec 60 millions d’euros divisés en trois paiements sur trois ans. Cette nouvelle méthode prévoyait notamment zéro abattement sur ces petits dossiers et des forfaits plus intéressants pour le monde agricole. Cette motion c’est d’abord pour dire que l’accord avec l’État – une parole donnée, écrite et signée – n’a pas été tenu. Cette somme a été rabotée en partie. Nous avions ouvert le prisme du paiement pour le monde agricole car l’État nous avait accompagnés, mais il n’a pas tenu sa parole.
Moi, cette proposition me va très bien mais ce n’est pas moi qui le déciderai. Je respecte profondément la propriété privée. Mais je veux aussi qu’un propriétaire privé qui ne veut pas de chasseur assume les conséquences de son choix. Si ces conséquences sont d’avoir plein d’animaux qui ravagent les cultures autour de chez lui la nuit, il doit en assumer financièrement les conséquences. Actuellement, tous les dégâts causés, que le territoire soit chassé ou pas, c’est nous qui les payons.
Il y a des fédérations de chasseurs qui le souhaitent pour arrêter de jouer à la roulette russe sur l’indemnisation des dégâts avec l’impossibilité de connaître les futurs prix des denrées agricoles. Je ne suis pas de ceux qui prennent ce genre de mesures. Je n’ai pas envie d’avoir des checkpoints dans la campagne avec des barrières canadiennes à franchir car du grillage et des fils électriques ont été installés partout.
Ce n’est pas ma conception de vivre librement à la campagne. Il peut toujours y avoir de la prévention mais est-ce que le monde agricole, avec tous ses problèmes, a le temps de poser des grillages ? Peut-être que quelques actions locales sont à faire dans certains cas de figure. Peut-être que parfois des agriculteurs ne disent pas assez vite qu’ils ont des problèmes avec des sangliers à un endroit donné pour que les chasseurs puissent agir.
Peut-être avons-nous un manque de communication pour pouvoir agir. Cela vient naturellement de la taille du parcellaire qui n’arrête pas d’augmenter. Un agriculteur qui devait surveiller 12 hectares, c’est facile. Celui qui a 800 à 900 hectares de céréales ne sera pas tous les jours à chaque coin de sa propriété. La plupart des dégâts sont découverts au moment de la récolte sans que personne n’ait demandé aux chasseurs d’agir. Mais je me mets aussi à la place de l’agriculteur qui n’a pas le temps d’aller regarder partout dans ses champs. Il y a sûrement des choses à mettre en place.
Des parcelles sont aussi parfois positionnées à des endroits sensibles. Si vous semez du maïs entre deux forêts, vous avez toutes les chances de voir le champ se faire retourner. Mais est-ce qu’on peut dire à un agriculteur qui a sa rotation des cultures de ne pas semer du maïs à cet endroit parce que c’est sensible ? C’est délicat.
Le système actuel nous amènera inévitablement à nous fâcher. Quand on paye trop, on en veut à celui qui prend les sous, c’est humain et dans ce cas précis, c’est le monde agricole qui trouve qu’on ne paye pas assez, nous les chasseurs. La pression monte entre chasseurs et agriculteurs. Il faut trouver des solutions.
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